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The Card Counter, sorti en France le 29 décembre 2021, ne plaira peut-être pas à tous les amateurs de casino. Méditation autour du risque, de la culpabilité et de la vengeance, dans une société américaine en crise. Cette œuvre cinématographique met en scène William Tell, incarné par Oscar Isaac, militaire retraité mutique, devenu joueur de poker et qui va de casino en casino pour échapper à son passé troublant. Il y croise la route de Cirk (Tye Sheridan), fils d’un ancien compagnon de route, un homme mué par le désir de vengeance. Lors de la préparation de l’un des tournois de poker les plus décisifs à Las Vegas, Tell décide de prendre Cirk sous son aile pour le détourner du côté obscur. L’itinéraire des deux hommes nous fait parcourir Atlantic City, Las Vegas, et surtout, le véritable monde du jeu d’argent. Ils vont disputer les World Series of Poker, les championnats du monde de poker, qui se tiennent chaque année depuis 1970 à Las Vegas. Le tournoi principal est le Main Event, c'est un tournoi de No Limit Texas hold’em dont le prix d'entrée est de 10 000 $. L’univers du poker y est très bien représenté et on se glisse aisément dans la peau des personnages.
Le décor en arrière-fond remonte au scandale « d’Abou Ghraib », en 2003. On a accusé l’armée américaine et la CIA de violations des Droits de l’Homme dans la prison centrale de Bagdad ; elles se sont alors livrées à des humiliations, abus sexuels, tortures et exécutions arbitraires. La hiérarchie a lancé des poursuites judiciaires débouchant sur des condamnations. Le protagoniste du film, William – Bill – Tell, a participé à ces turpitudes, et les a payé de pratiquement dix ans d’incarcération dans la prison militaire de Leavenworth – USDB / United States Disciplinary Barracks. La faute des gardiens a été d’avoir documenté ces atrocités. Les geôliers ont tous été reconnus coupables. Pas leur responsable, ni les responsables de leur responsable.
Les premières cartes qu’on voit à l’écran ont le pique comme enseigne. Cette figure symbolise le Glaive de la Justice. Bill retourne, à la fin, à la prison de Leavenworth. Mais c’est un peu comme s’il revenait à la « maison ». Des visions cauchemardesques d’Abu Ghraïb font partie de ses troubles de stress post-traumatique. Filmées en grand-angle, les images représentent un labyrinthe de couloirs glauques où des militaires, hommes et femmes, martyrisent des prisonniers. L’effet est dantesque.
Le joueur écume casinos et salles de jeux en profitant de ses talents de « compteur de cartes » au blackjack qu’il a pu perfectionner derrière les barreaux. Un bon « compteur » a une connaissance parfaite des règles du jeu, il est en mesure de connaître les cartes distribuées et celles qui restent à distribuer, et il mise en fonction de ce qu’il observe et calcule. Concernant les stratégies au blackjack, le réalisateur Paul Schrader s‘est directement inspiré d’une vidéo du site Wired expliquant comment se déroule le comptage des cartes.
Selon Paul Schrader : « Les casinos c’est comme entrer dans la zone des zombies, une sorte de purgatoire… Au poker, on peut jouer pendant des jours et des jours avant d’avoir la main tant attendue. On peut espérer avoir de la chance toutes les deux ou trois semaines, la plupart du temps, ce jeu consiste à attendre ». On retrouve Tell dans sa cellule à lire Les Méditations – Pensées pour soi-même – de Marc-Aurèle, l’un des plus importants auteurs du stoïcisme.
La voix off de Bill est épatante pour que le spectateur comprenne les règles des différents jeux auxquels il s’adonne : le Blackjack et le Texas Hold’em. Il détaille les rapports des joueurs entre eux, la façon dont les propriétaires de casinos, dont les investisseurs qui commanditent des joueurs, gèrent leur activité et accumulent les profits. Il y a ici une dimension didactique qui fait penser à Casino de Martin Scorsese (1995), le cinéaste avec lequel Paul Schrader a collaboré de près (scénarios de Taxi Driver (1976), Raging Bull (1980), La Dernière tentation du Christ (1988) et À tombeau ouvert (1996) – qui découle de Taxi Driver).
The Card Counter prend son temps pour mettre en place ses personnages puis l'ambiance, derrière laquelle se cache un portrait sans concession de la nature humaine. Schrader ne filme pas pour juger, mais pour constater à quel point celle-ci peut être cruelle. Il reste économe dans l'utilisation des mots et nous laisse juge des actes des personnages. La partition minimaliste d'Oscar Isaac et la bande originale envoûtante participent à cette atmosphère mélancolique, parfois dépressive et teintée d'une violence continue qui finit par envahir tout le film.
En signant The Card Counter, Paul Schrader nous guide dans l'univers impitoyable des jeux d'argent, de la prison et de la prison du jeu, axant sa mise en scène sur une atmosphère de plus en plus immersive et intrigante.
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